Concours 2010

Il suffisait, tout simplement, de répondre à la question :

Ecrivez-nous quel écrivain tchèque ou quel livre tchèque vous a le plus marqué et pourquoi.

L’auteur de la meilleure réponse remportera un séjour à Prague d’une semaine pour deux personnes. Les autres participants recevront des prix de valeur et des souvenirs.

Le grand vainqueur du concours 2010 de Radio Prague, après le tirage au sort, est

Finalistes :

Antony Loser, France
Morgan Corven, France
Francois Marcotte, Canada
Hervé Brien, France
Sofia Mellari, France
Sergi Giovanni, Italie
Djelali Lahouari, Algerie
Marucie Yon, France

 

Tracy Andreotti

Josef ŠkvoreckýJosef Škvorecký J’en garde toujours un vif souvenir. C’était en juillet 2004, et dans le Middle West il faisait très chaud, très lourd. Ennuyée et un peu déprimée par toute une série de livres d’auteurs allemands que je venais de lire, j’ai décidé de suivre le conseil des libraires du magasin Amazon, qui me recommandaient, depuis fort longtemps, l’auteur tchèque Josef Škvorecký. Ils m’ont assuré que j’y trouverai un certain plaisir, à l’instar du Brave soldat Chveïk.

J’ai donc pris la voiture pour me rendre chez mon libraire préféré et remettre à la vendeuse un billet froissé avec le nom énigmatique et difficile à prononcer de l’écrivain.

Après avoir consulté son ordinateur, la vendeuse m’a dit qu’elle n’avait rien pour l’instant de cet auteur, mais qu’elle allait commander plusieurs romans de Škvorecký. Au moment même où je choisissais, résignée, un nouveau Sebald, elle a souri en me disant qu’elle avait finalement trouvé un livre de cet auteur, « L’ingénieur des âmes humaines ». Contente, j’ai tout de suite décidé de le prendre.

En rentrant chez moi, je me suis arrêtée sur la terrasse d’un restaurant pour boire un café glacé et me suis mise à feuilleter le nouveau livre. Ma découverte a dépassé toutes mes attentes. Je suis tombée littéralement amoureuse de Škvorecký et de son alter ego Danny Smiřický. Je ne veux pas dramatiser les choses, mais il est vrai que l’achat de ce livre a complètement transformé ma vie.

J’avais l’impression d’y vivre avec Danny et ses amis. Je ne suis pas Tchèque, je n’ai jamais visité la Tchéquie, je n’ai pas connu le totalitarisme, je n’ai pas eu à prendre la voie de l’émigration. Mais ce récit m’a complètement transportée sur les lieux de l’action. C’était un monde entièrement différent. Le pathos et l’humour y avaient leur place. J’ai pris conscience des difficultés de la vie au quotidien en période de guerre. Cela m’a touchée tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. J’ai souhaité rester dans ce monde et de mieux le connaître.

Je me suis donc lancée avec assiduité dans la recherche d’autres informations sur l’auteur – sur ses maisons d’édition, le travail qu’il avait fait lui-même ou en commun avec sa femme Zdena Salivarová, sur les efforts qu’ils avaient déployés pour que la littérature tchèque soit présente sur le marché mondial. J’ai lu tous les livres de Škvorecký, l’un après l’autre. J’ai lu tous ses romans et contes. J’en ai plus d’une vingtaine dans ma bibliothèque – toute une étagère en est pleine. Après avoir lu tous les livres de Škvorecký traduits en anglais, je suis passée à Bohumil Hrabal, Ivan Klíma, Milan Kundera, Karel Čapek, Ludvík Vaculík et Vladislav Vančura. J’ai lu tout ce qui était disponible et suis tombée amoureuse, d’une manière ou d’une autre, de chacun d’entre eux. L’étagère contenant les œuvres de Škvorecký s’est vite transformée en une bibliothèque d’auteurs tchèques. Je peux dire que je suis passionnée par cette littérature, et je suis très exigeante aussi en ce qui concerne la qualité de la traduction.

Mon intérêt pour la littérature tchèque m’a conduit vers le site de Radio Prague, qui m’apporte une dose régulière d’informations sur la vie et les événements politiques dans le pays. Je possède en outre plusieurs films tchèques, toujours grâce à Škvorecký et à ses récits captivants sur le film tchèque. Je me suis de nouveau intéressée aux compositeurs tchèques, Antonín Dvořák et autres, et j’ai découvert de nouveaux talents musicaux, parmi lesquels Iva Bittová, grâce à son portrait sur RP.

Il y a un an, je me suis dit que le temps était venu d’apprendre le tchèque. Depuis, je fréquente chaque semaine des cours au Sokol local. Les progrès sont lents, mais je m’en réjouis.

Selon mes amis, je suis tchécophile et j’en suis fière. Il en est vraiment ainsi, grâce à mon écrivain tchèque préféré, Škvorecký.

 

Denis Dumoulin

Josef Hiršal
Bohême bohème (Píseň Mládí), 1980, 1983
traduit du tchèque par Erika Abrams
Editions Albin Michel, Paris 1991

Josef HiršalJosef Hiršal Ce livre est l'une des premières traductions françaises d'un livre tchèque que j'ai eu l'occasion de lire. Peu après le changement de régime dans la Tchécoslovaquie d'alors, un grand nombre de textes ont été publiés, issus d'une littérature peu connue en Europe de l'Ouest, particulièrement en régions francophones. Beaucoup de ces ouvrages sont impressionnants par la hauteur de leur inspiration et la qualité de leur style. Mais il en est peu qui m'ont autant impressionné que le récit de Josef Hiršal.

Il y a d'abord dans Bohême bohème une peinture extraordinaire de la Bohême à la fin du 19e siècle et durant la première moitié du 20e. En lieu et place d'une étude historique ou sociologique d'un monde, il y a là une autobiographie follement originale d'un habitant de la Bohême orientale, qui décrit avec minutie un espace et un temps. Vus par cette lorgnette personnelle, la Bohême de l'époque et ses habitants prennent une couleur et une saveur tout à fait étonnantes. On pense bien sûr à des équivalents régionalistes français. Car, comme chez Giono, Vincenot ou d'autres, il y a au moins autant, sinon plus, à apprendre des gens simples que des héros. Et bien sûr, des gens des campagnes tout spécialement. Car Hiršal pourrait aussi évoquer un écrivain tchèque majeur, Jaroslav Seifert, si celui-ci ne s'était attaché à dépeindre surtout le vieux Prague, le monde de la ville, par exemple dans son livre Toutes les beautés du monde.

Mais il y a plus encore dans le récit de Josef Hiršal. Je ne connais aucun ouvrage dont la construction soit aussi impressionnante d'habileté et d'intelligence. Bohême bohème est en effet un récit gigogne, c'est-à-dire qu'il ne comprend en fait que ... huit pages! Le reste du livre comprend alors trente pages de notes, puis quatre-vingt pages de ... notes aux notes, et même cinquante pages de notes aux notes aux notes! Rien d'artificiel ni de prétentieux dans ce petit jeu. Car cette construction ingénieuse relève non seulement de l'humour facétieux si caractéristique de la littérature tchèque, mais aussi d'un souci de faire oeuvre éducative. De la musique populaire à la littérature, de la politique à la sociologie, de l'histoire à la géographie, tout est offert au lecteur curieux de connaître la vie quotidienne et la culture tchèque à cette époque. Par exemple, sur la 1ère guerre mondiale en Europe centrale, sur le poète Erben, sur Hašek, sur Julius Fučik ou sur l'époque du Protectorat, mais aussi sur le destin de tant de familles modestes de la Bohême orientale, j'ai quasiment tout trouvé dans le livre de Josef Hiršal. Et j'en suis ressorti un peu étourdi, mais, somme toute, pas tellement étonné. Toute cette vie foisonnante, tremblante et frissonnante, c'est vraiment la Bohême. Je pense, comme Nicolas Bouvier parlant d'un poète tchèque, "Inutile de dire que la vie n'étant que tremblement, de terreur ou de plaisir, ce qui ne tremble pas ne m'intéresse pas le moins du monde".

Dépeindre un pays, dire une époque, évoquer le destin d'un homme et d'une nation, et d'une pièce de puzzle atteindre à l'universalité avec humour et originalité, voilà bien les marques d'un très grand écrivain, Josef Hiršal, et d'un très grand livre, Bohême bohème.

 

Bernard Leblicq

Ladislav FuksLadislav Fuks Il est bien difficile de répondre à cette vaste question du concours de Radio Prague de ce printemps, surtout pour un francophone belge qui ne peut malheureusement lire que des textes traduits avec les nuances de la langue nécessairement perdues.

Entre les auteurs qu'on ne présente plus, comme Kafka, Havel, Hasek, Kundera, Capek ou Hrabal, ceux plus récemment découverts grâce à mes amis Tchèques, comme Hulova, Kratochvil, Klima, Ourednik, Topol, Pecka, Tresnak ou encore l'étronnante octogénaire Legatova ou Nemkova et sa douce "babitchka", le choix est ardu! J'aime aussi particulièrement Perutz mais il me pose un problème: si certains le définissent comme auteur tchèque, je le tiens plutôt pour Autrichien...
Sans doute manque-t-on aussi l'oeuvre de l'un ou l'autre écrivain non traduit ou enfin l'un ou l'autre dont quelques livres seulement peuvent se lire en français.
Et là je pense plus particulièrement à Ladislav Fuks, à qui je donne mes préférences.
Quelle imagination dans le choix de ses sujets, quelle verve, et quel style chez cet homme qui partage, on le devine rapidement, la vulnérabilité de ses héros. Que j'aime aussi cette quasi omniprésence de Prague dans le décor de ses livres.
Si trois romans seulement peuvent se lire en français, comment ne pas s'y plonger avec délice, mais, il est vrai aussi, avec quelque inquiétude!

Dans "Monsieur Mundstok",que j'ai lu en premier, l'angoisse du héros est décrite de façon hallucinante, sans pour autant manquer d'humour. Le dialogue entre Mundstok et son ombre (qui le harcèle, commente toutes ses faiblesses et le brime presque aussi brutalement que ne le fait le régime de l'occupant allemand) est habile et percutant. Et quelle trouvaille littéraire que cette ombre dont il va -sans doute- se débarrasser en se préparant avec méthode avec la déportation à laquelle il croit ne pas pouvoir échapper. J'ai aimé la chute du récit, et la mort presque banale du héros, écrasé par les roues d'un camion militaire allemand et non en déportation à laquelle il s'était si longuement préparé!

Que dire aussi de " L'incinérateur de cadavres" qui est autant, si pas davantage, effrayant et grinçant. Ce portrait de M. Kopfringl, "cet homme bien sous tous les rapports", employé -vraiment- modèle au crématorium de Prague, ainsi que la description terrifiante de sa métamorphose mentale au contact de son ami nazi donnent littéralement froid dans le dos en vous interpellant sur les pires équivoques de notre civilisation. Comment ne pas "halluciner" devant cette évolution vers le rêve du héros d'une race pure qui va passer par l'incinération de sa propre famille, au sang juif ! Seuls le style et l'écritute si particulière de Fuks pouvaient dépeindre ce thème affolant qui frôle le cauchemar et l'effroyable sans jamais heurter le lecteur: un pur plaisir littéraire.

Quant au "Voyage en terre promise", on ne peut s'empêcher de s'amuser à la lecture des dialogues qui en constituent la trame, entre bourgeois juifs à la conversation mondaine inutile et un rabbin féru de citations de l'Ancien Testament mais aux intentions énigmatiques, tous ensemble sur une frèle embarcation qui arbore un drapeau nazi et navigue sur le Danube sans que la destination ne soit certaine!
Et malgré la gravité du thème, cher à Ladislav Fuks, à savoir les juifs et l'holocauste, l'écriture habile, inventive et ingénieuse de l'auteur fait à nouveau mouche et interpelle le lecteur tout en le réjouissant.

J'ai aimé ces écrits aux thèmes graves, racontés sur un ton émouvant, parfois frivole aussi et au déroulement inventif dû à une imagination fertile, sans doute un peu iconoclaste mais toujours juste.

Que dire d'autre si ce n'est que j'attends avec impatience la traduction des autres récits de Ladislav Fuks !