Le tchèque du bout de la langue : l’âme et l’esprit - « Duše » et « duch »

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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! La Semaine sainte et le week-end pascal passés, les prochaines fêtes figurant au calendrier chrétien sont désormais l’Ascension - Svátek Nanebevstoupení Páně - et la Pentecôte – Letnice, seslání Ducha svatého ou encore svatodušní svátky, soit littéralement, traduit en français, « l’envoi du Saint-Esprit » ou « les fêtes du Saint-Esprit ». Ces deux fêtes, y compris l’Ascension qui, quarante jours après Pâques, marque la dernière rencontre de Jésus avec ses disciples après sa résurrection et son élévation au ciel, ont pour point commun d’annoncer pour la première, puis de célébrer pour la seconde, la venue du Saint-Esprit. Pour nous, tchécophiles, ces deux fêtes sont aussi l’occasion de nous intéresser à deux petits mots de la langue tchèque très proches l’un de l’autre, deux mots qui désignent l’esprit : le mot « duch » que l’on retrouve donc dans l’« Esprit saint » - « Svatý duch » - et « duše ». Avec une question qui nous intrigue plus précisément : quelle est la différence entre ces deux mots qui désignent plus ou moins la même chose ?

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Formulée autrement, la question pourrait aussi consister à savoir pourquoi on ne parle pas en tchèque de « svatá duše » pour désigner le Saint-Esprit ou cet esprit de Dieu venu sur les apôtres de façon à ce que ceux-ci puissent annoncer et répandre dans le monde la bonne nouvelle de la résurrection du Christ. Pour y répondre, notons tout d’abord que cet usage de « svatá duše » est tout à fait possible. Il servira alors toutefois à désigner « une âme sainte », comme celle par exemple de Thérèse de Lisieux. « Histoire d’une âme » est d’ailleurs le titre d’un ouvrage très populaire consacré à la sainte publié peu après sa mort. En tchèque, le titre de ce livre est aussi « Dějiny duše », tout à fait identique donc au français.

Ce mot « duše », dont la prononciation (« douché » phonétiquement en français) et même le sens ne sont pas sans nous faire penser au terme italien « Duce » qui qualifiait le « guide » Benito Mussolini, est un mot que l’on retrouve dans toutes les langues slaves. A l’origine, il était à mettre en relation avec l’idée de respiration – dýchání - et de souffle - dech. D’ailleurs, cette conception nous rappelle aussi ce que les chrétiens présentent comme « le souffle de l’Esprit », entendons par là l’Esprit-Saint qui souffle dans le cœur des hommes et Jésus-Christ ressuscité qui « souffle » sur ses apôtres. Il s’agit alors cependant du souffle de l’Esprit de Dieu, en tchèque donc « dech Božského ducha », et non « dech Božské duše ».

Ce mot « duše » servait aussi à marquer la différence – importante, il est vrai…- entre un homme vivant, un homme qui respire encore en somme, et un homme mort dont on ne sent plus le souffle lorsque l’on approche notre visage du sien. Il désigne donc en quelque sorte ce que l’on appelle aussi « l’esprit de vie » ou « le souffle vital ». A ce point de notre réflexion, il est amusant de constater qu’en tchèque le mot « duše » désigne aussi une… chambre à air. Oui, ce boyau en caoutchouc rempli d’air ; ce fluide gazeux que les Tchèques désignent sous le nom de « vzduch », ce qui, une fois encore, est tout sauf un hasard tant « vzduch » et « duch » sont deux mots étymologiquement et phonétiquement proches l’un de l’autre, et ce même si « vzduch » est un substantif créé artificiellement par le philologue Josef Jungmann, grande figure du Réveil national tchèque, au début du XIXe siècle en s’inspirant du mot « duch » dans le sens de « dech » - le souffle.

Les cultures anciennes avaient elles aussi tendance à attribuer un esprit, une âme dans le sens de « duše »à tout ce qui faisait le quotidien de leurs membres. Cette force vitale animait à la fois les êtres vivants, mais aussi les éléments naturels comme les pierres et bien entendu le vent. Il s’agit alors d’une croyance appelée animisme par les ethnologues.

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Rien à voir donc avec le Saint-Esprit auquel nous revenons. Une chose est acquise : qu’il s’agisse du mot « duše » ou « duch », l’un comme l’autre désigne une partie incorporelle de l’être humain par opposition à la matière. Toutefois, le mot « duch » se réfère exclusivement à ce côté immatériel propre aux hommes. Ceux-ci ont une « âme », sont animés d’un esprit dans le sens effectivement de « duch », mais ils ne sont pas des « duch » dans le sens cette fois d’êtres immatériels. Car en tchèque le mot « duch » sert aussi à désigner un revenant ou un fantôme, comme ceux qui hantent les nombreux châteaux de Bohême et de Moravie.

Pour les chrétiens, l’esprit dans le sens toujours de « duch » est l’élément qui leur permet d’entretenir une relation de confiance avec Dieu. Encore faut-il aussi pour cela savoir ouvrir son cœur et avoir « un esprit ouvert », ce qui en tchèque donne alors « mít otevřenou mysl ». Car, en effet, le mot « mysl » se rattache lui aussi à l’idée d’esprit mais davantage alors dans le sens de pensée et d’idée.

Thérèse de Lisieux,  photo: public domain
Mais n’entrons pas davantage dans les détails au risque de nous y perdre complétement. Contentons-nous alors de savoir que le mot « duše » seulement ne se rattache pas uniquement à l’immatériel, mais aussi à la partie matérielle de l’homme. Comprenons dès lors que l’être humain a non seulement une âme, et peu importe un peu alors en tchèque s’il s’agit du mot « duch » ou « duše », mais il est et incarne aussi lui-même cette âme, cette fois uniquement dans le sens de « duše ». Ainsi donc, « duše » serait un synonyme de la vie. Et nous en revenons à ce point à sainte Thérèse de Lisieux évoquée précédemment qui était une âme – « duše » - habitée d’un esprit – « duch », ou si vous préférez « une âme sainte » - « svatá duše » sur laquelle soufflait « l’Esprit-Saint » - « Duch svatý ».

Il y aurait encore bien des choses à dire sur le sujet. Nous nous arrêtons cependant là pour vous souhaiter de « porter le soleil en vous », ce qui en tchèque nous donne… devinez… « slunce v duši ».