Ces francophones qui parlent tchèque (n° 6) : « Comme Václav Havel, mon beau-frère ne sait pas rouler les 'R'»

Hugo Ben Simhon, photo: Archives de Hugo Ben Simhon

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague. Suite de notre série consacrée aux francophones qui parlent ou font l’effort d’apprendre le tchèque. Après Chantal la comédienne, Stéphane l’écrivain et showman, Martine la prof, épouse et maman, Aude la traductrice et Cyril l’architecte, c’est cette fois Hugo, employé au service de presse de l’ambassade de France, qui va nous parler de ses premiers pas et de ses progrès en tchèque. Un apprentissage qu’Hugo Ben Simhon, à la différence d’un grand nombre d’étrangers qui se lancent dans l’aventure, a entamé ailleurs qu’à Prague :

Hugo Ben Simhon,  photo: Archives de Hugo Ben Simhon
« Il y a cinq ans de cela, j’ai effectué mon année Erasmus à Ústí nad Labem pour ma troisième année de licence éco-gestion, que je faisais à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, afin de découvrir l’Europe centrale et les citoyens d’Europe centrale. Je me disais que c’était géographiquement intéressant de pouvoir visiter plusieurs pays assez rapidement et assez facilement. Je n’ai pas choisi Prague, puisque ça reste une ville assez cosmopolite ; c’est comme aller à Paris ou à Londres. Je préférais aller dans une ville un peu moins connue… »

« Pendant cet Erasmus j’ai rencontré mon actuelle compagne, mais je suis reparti en France pour faire un master Affaires européennes. J’ai alors continué à apprendre le tchèque avec elle, mais sans vraiment pousser l’apprentissage. »

Prague est effectivement une ville où il est facile de parler une autre langue que le tchèque. On imagine que les choses sont un peu différentes à Ústí. L‘apprentissage du tchèque vous est-il donc apparu comme une nécessité pour vivre ou « survivre » au quotidien ?

«A Ústí nad Labem, c’est une nécessité, puisque la seule langue étrangère souvent connue par les personnes que je côtoyais était l’allemand, en raison de la proximité géographique. Avec les étudiants tchèques, je pouvais parer anglais, mais ils étaient timides… Un peu comme les Français d'ailleurs. J’avais des colocataires tchèques dans la résidence universitaire où je logeais, et cela m’a permis d’apprendre plus de vocabulaire ; parfois inutile et marrant, mais il était agréable d’être introduit par ce biais à la langue tchèque. »

La découverte de cette langue tchèque vous a-t-elle plu ?

« Oui, tout à fait. Je ne connaissais pas de langues slaves avant et lorsque je suis arrivé le premier jour en République tchèque, j’ai d'abord eu l’impression d’être un peu perdu, parce que je n’étais pas habitué aux accents. Je ne reconnaissais pratiquement aucun mot avec une base latine. Mais justement, cette différence m'a tout de suite plu. »

Est-ce un apprentissage qui s’est fait sur le tas ou avez-vous suivi des cours?

Photo illustrative: nenetus / FreeDigitalPhotos
« Cela s’est d’abord fait sur le tas. J’utilisais la méthode Assimil, ce qui m’a beaucoup aidé, c’est vrai. Mais quand on habite dans un pays, on peut justement essayer d’utiliser ce qu’on vient d’apprendre dans la journée autour d’un verre le soir avec des amis, c’est vraiment très intéressant. Les progrès se font assez rapidement, comme pour toute langue, mais parfois des paliers sont difficiles à atteindre et à dépasser. Depuis que je travaille à l’ambassade, je suis des cours hebdomadaires et cela m’aide beaucoup. Mais il faudrait que je sois un peu plus assidu, que j’apprenne un peu plus les déclinaisons. Je les connais, mais j’essaie de rendre la conversation fluide et je n’y fais pas trop attention, donc c’est en parlant avec mes amis et ma compagne, qui me reprennent, que je mémorise petit à petit. »

C’est un aspect intéressant de l’apprentissage, parce que les Tchèques sont des gens très tolérants et très patients. Ils sont d’abord heureux de voir qu’un étranger fait l’effort de parler le tchèque, donc cette « mauvaise pratique » ne constitue pas forcément une barrière.

« Tout à fait, cela permet justement de tenir une conversation, puisque, si on réfléchit cinq minutes sur le bon cas à utiliser, on ne peut pas tenir la conversation. Et puis c’est un pays de 10 millions d’habitants, il y a plus ou moins 10 millions de locuteurs tchèques dans le monde, donc le moindre effort d’un étranger est récompensé par un accueil très chaleureux. »

« Je nage sans pleurer »

Quels ont été vos premiers mots, vos premières phrases tchèques?

« Par exemple, ‘Jmenuji se Hugo’, ou quelque chose d’un peu moins commun comme ‘močový měchýř. J’avais un colocataire qui allait souvent aux toilettes, donc je lui demandais: ‘Comment dit-on vessie parce qu’il me semble qu’elle est un peu petite ?’.»

Vous souvenez-vous d’une situation un peu cocasse dont la raison était votre tchèque?

Photo illustrative: tpsdave / pixabay,  CC0 public domain
«Cela m’arrive encore parfois... Des mots qui pour des Tchèques ne se ressemblent pas, me semblent proches. Je fais des erreurs par exemple entre ‘plavat’ (nager) et ‘plakat’ (pleurer) ou ‘žehlit’ (repasser) et ‘žárlit’ (jalouser). Cela donne des situations assez drôles pour les Tchèques… Ou encore, la première fois que j’ai rencontré mon beau-frère, j’avais l’impression qu’il se moquait de moi parce qu’il prononçait les ‘r’ comme un Français. A la fin du repas, j’ai dit à ma compagne: ‘Mais pourquoi s’est-il est moqué de moi toute la soirée?’ Et en fait, il n’arrive pas à rouler les ‘r’ comme beaucoup de Tchèques d’ailleurs, et même comme Václav Havel, et je ne m’en étais pas rendu compte. »

On pourrait donc dire que vous avez nagé dans cet apprentissage du tchèque sans jamais pleurer…

«Exactement, et je continue de nager sans pleurer. J’y arriverai un jour ! »

Parlez-vous tchèque avec votre compagne ?

« Oui ! C’est d’ailleurs amusant puisque, initialement, nous ne parlions qu’en anglais, alors que maintenant nous ne parlons pratiquement plus qu’en tchèque. Cela s’est fait naturellement, mais le fait de vivre depuis trois ans en République tchèque permet par exemple de rêver en tchèque… Comme on est en immersion totale, cela devient effectivement naturel. »

« Notre ambassadeur sait faire rire en parlant tchèque »

Dans le petit monde diplomatique dans lequel vous travaillez quotidiennement à Prague, rencontrez-vous souvent des collègues d’autres ambassades ou des collègues de l’ambassade française qui eux aussi font l’effort d’apprendre le tchèque ? Est-ce là une démarche courante ? Ce sont souvent des gens en mission pour un temps donné, qui sont ensuite amenés à repartir et à quitter la République tchèque, donc ils ne ressentent pas forcément la nécessité de se lancer dans un apprentissage qui, encore une fois, n’est pas évident…

« Cela dépend des gens, mais les diplomates sont des gens ouverts, donc ils souhaitent s’intégrer ou du moins essayer de parler un minimum en tchèque dans la vie courante, et je pense que c’est quelque chose de très positif. Certains de mes collègues d’autres ambassades sont comme moi, en contrat d’agent local et parlent bien tchèque, donc je pense que c’est un phénomène général. Et puis les Tchèques sont accueillants, donc on a envie de parler avec eux et de leur montrer qu’on s’intéresse à leur langue. »

L’ancien ambassadeur de France était apprécié entre autres pour sa pratique du tchèque, il avait l’habitude de prononcer ses discours en tchèque. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un nouvel ambassadeur qui parle un peu moins bien (si vous nous écoutez, monsieur l'ambassadeur, pardonnez-nous). Sentez-vous une différence par exemple lorsque vous vous déplacez dans les régions?

« Il est vrai que parler tchèque facilite une remise de décoration ou un discours, car il n’y a pas d’interprète. Cependant, notre nouvel ambassadeur parle un peu le tchèque, certes pas aussi couramment que notre ambassadeur précédent, mais il parle de manière assez correcte, fait sourire, et sait faire rire en parlant tchèque, donc cela brise directement la glace. Parler couramment tchèque est un plus, mais c’est tellement exceptionnel que les Tchèques n’en tiennent pas rigueur, même en région. Ils sont contents quand les ambassadeurs se déplacent en province, qu’ils parlent tchèque ou pas. »

C’est une belle réponse de diplomate que vous nous donnez là!

Hugo Ben Simhon,  photo: Archives de Hugo Ben Simhon
« Non, je ne pense pas, c’est vraiment sincère pour l’avoir vu. C’est bien sûr plus simple lorsqu’on le parle, mais même en province, les maires et autres représentants de collectivités locales tchèques parlent anglais ou allemand. Peu importe la langue, c’est une question de personne. Bien sûr, le tchèque peut rendre les choses plus faciles. Honnêtement, que l’on parle anglais, allemand ou français - parce qu’il y a beaucoup de locuteurs français en République tchèque, plus qu’on ne le croit -, je pense que c’est une question de personne. Il suffit d’être ouvert et aimable, et cela suffit. »

Nous retrouverons encore Hugo pour la suite de ses aventures en tchèque dans le prochain Tchèque du bout de la langue. D’ici là, c’est comme d’hab’ : portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši (plus encore à Ústí), salut et à bientôt - zatím ahoj !