Hockey sur glace au Maroc : au début, tout le monde nous prenait pour des fous

Rabat Capitals et Pirates de Salé, photo: Magdalena Hrozínková

Le hockey sur glace au Maroc ? Beaucoup ont pensé que cela ne marcherait jamais. Les frères Khalid et Mimoun Mrini qui ont vécu au Canada ont prouvé le contraire. Il y a treize ans, ils ont rapporté au Maroc leur passion du sport le plus populaire là-bas, une passion désormais soutenue par l’Etat tchèque, qui a offert un bus aux jeunes joueurs de hockey de Rabat lesquels ont d’ailleurs eu un échange avec de jeunes tchèques de la ville de Náchod. Radio Prague a assisté, à Rabat, à l’entraînement de deux clubs, les Rabat Capitals et les Pirates de Salé.

Mimoun Mrini,  photo: Magdalena Hrozínková
Nous sommes sur la patinoire du centre commercial Mega Mall, à Rabat, en compagnie de Mimoun Mrini. Ce soir, il entraîne les jeunes des Pirates de Salé en noir et des Rabat Capitals en rouge…

Mimoun Mrini : « Ces deux clubs représentent le derby entre la capitale Rabat et la ville de Salé située juste à côté. Les deux clubs ont été créés il y a treize ans, en avril 2005. Ils se battent pour le championnat marocain de hockey sur glace. »

Comment se porte le hockey en général au Maroc ? Effectivement, aux yeux des Tchèques, la pratique de ce sport au Maroc est quelque chose d’assez extraordinaire…

Mimoun Mrini : « Au début, tout le monde nous prenait pour des fous. Le projet a été lancé par mon frère Khalid Mrini, le président de la Fédération royale marocaine de hockey sur glace, et moi-même, à l’occasion de l’ouverture de la première patinoire dans le pays, au Mega Mall de Rabat. Nous avions quelques joueurs, mais aucun équipement. Au fur et à mesure, des clubs se sont créés. Actuellement, il en existe huit au Maroc. Ils représentent les villes de Kenitra, Salé, Rabat et Mohammedia. Trois clubs sont à Casablanca et un nouveau club vient d’ouvrir cette année à Agadir. Il y a de l’avenir, mais il nous manque des infrastructures, car il n’existe que deux patinoires au Maroc, ici à Rabat et à Casablanca.

Rabat Capitals et Pirates de Salé,  photo: Magdalena Hrozínková
Nous essayons de jouer notre championnat entre janvier et avril. Ensuite, nous organisons une Coupe du Trône ce qui est une tradition dans un royaume. Généralement, elle se déroule au mois de juillet. Le hockey se porte très bien au Maroc, car à l’échelle nationale, la sélection marocaine a remporté la médaille d’or au championnat de développement en Andorre, contre les équipes d’Andorre, de Portugal et d’Irlande. Dans le groupe d’amitié, qui regroupe l’Algérie, le Liban et le Maroc, nous avons aussi remporté la coupe à Montréal. »

Une école de la vie

Le hockey, n’est-il pas un sport trop cher pour les parents de jeunes espoirs marocains ?

Mimoun Mrini : « Nous avons reçu quelques dons de la part de compatriotes et de la Fédération française de hockey sur glace ce qui nous a permis d’équiper les joueurs. Par ailleurs, l’adhésion à un club de hockey au Maroc est gratuite. On est ouvert à tout le monde. Les joueurs ont des frais d’assurance symboliques à payer, mais généralement, nous les prenons en charge. Nous essayons de vulgariser au maximum le hockey. Nous ne sommes pas ici pour gagner de l’argent, mais parce que nous sommes des fous amoureux de ce sport que nous essayons de développer avec des moyens du bord, tout en étant aidés par le ministère de la Jeunesse et des Sports.

Rabat Capitals et Pirates de Salé,  photo: Magdalena Hrozínková
Toujours est-il que le hockey n’est pas le sport national ici. Mes amis tchèques m’ont fait comprendre que la République tchèque, qui est pourtant un pays très fort en hockey, la situation était semblable à celle au Maroc : aujourd’hui, les jeunes veulent jouer au football. Ils pensent pouvoir gagner des sommes astronomiques et décrochent un peu… Donc nous nous battons ! »

Quel est l’avantage du hockey sur glace par rapport aux autres disciplines ? En quoi peut-il être attrayant pour les jeunes ?

Mimoun Mrini : « En tant que directeur technique national, je n’aime pas comparer les sports. Le plus important est que les jeunes pratiquent le sport en général, que ce soit de la pétanque, du basketball, du hockey ou du foot. Il est important, surtout dans nos pays, que les jeunes soient sauvés de l’intégrisme. Un jour, mon frère a dit : ‘A chaque fois que je forme quelqu’un au hockey sur glace, je le vole à Daech’. Le hockey sur glace est un sport de cohésion qui demande énormément d’effort physique. Généralement, il va créer une confiance en soi-même : on évolue sur une glace, on glisse, on tombe, on se relève, parfois on perd, parfois on gagne… C’est la leçon de la vie. »

Comment sont organisés les entraînements à Rabat ?

Mimoun Mrini : « Nous nous rencontrons trois fois par semaine. Nous sommes tributaires d’une patinoire privée située dans un centre commercial que nous louons. Cela nous oblige à accepter les horaires qui ne sont pas toujours compatibles avec les nôtres, car nous faisons jouer des jeunes de moins de douze ans un jeudi entre 21h00 et 22h00. C’est très tard pour eux et cela nous fait de la peine. Malheureusement, nous n’avons pas une patinoire à nous qui nous permettrait de nous entraîner l’après-midi ou dans la soirée pour que les enfants puissent ensuite faire leurs devoirs et être ‘frais et dispos’ le lendemain matin.

Sinon, nous avons toutes catégories d’âge, des U12, U14, U15, U18 et U20. J’arrête à l’âge de vingt ans, pour laisser le sport se développer à l’international. Au sein de l’équipe nationale, nous avons quatre au cinq joueurs marocains locaux, mais nous avons également beaucoup de joueurs qui viennent du Québec, de la République tchèque, de la Finlande, de la Suède… Nous devons aller piocher ailleurs, dans les meilleurs clubs de la planète, comme on le fait dans le foot. »

Quand je mets le casque, je deviens une autre personne

Parmi les joueurs des deux clubs qui s’entraînent ce soir, je vois aussi des filles…

Rabat Capitals et Pirates de Salé,  photo: Magdalena Hrozínková
Mimoun Mrini : « Oui, les filles sont de plus en plus nombreuses à avoir un engouement pour le hockey. »

Nous rencontrons l’une d’entre elles :

« Je m’appelle Nouhaila. Depuis environ deux ans, je fais partie de l’équipe des Pirates. Ce que j’aime dans le hockey, c’est qu’il a un côté physique mais aussi intellectuel. On peut avoir des amis sur le terrain. Même si vous êtes une fille, vous pouvez jouer. Et vous vous sentez libre ! Vous mettez le casque et vous êtes une autre personne. C’est quelque chose que l’on peut qualifier de magique ! Vous jouez, vous parlez, vous criez et à la fin, vous suez (rires). Parfois, quand vous avez de la chance, vous gagnez. »

J’ai mis la photo de Jaromír Jágr sur notre bus

En été 2017, de jeunes hockeyeurs tchèques de la ville de Náchod, en Bohême de l’Est, se sont rendus au Maroc pour un match amical. Comment est née cette coopération ?

Photo: Jan Czerný
Mimoun Mrini : « Une compagnie de production tchèque, Cinema Arsenal, est venue tourner un documentaire sur le Maroc. Elle est tombée par hasard sur le hockey marocain. Les cinéastes ont filmé ce rêve de notre président d’amener vers le hockey sur glace des patineurs en roller qui s’accrochaient derrière des bus et des camions et risquaient de se faire mal. Ensuite, ils ont eu l’idée de faire venir de jeunes Tchèques de Náchod et de les filmer. Nous avons ainsi passé une dizaine de jours ensemble. Il n’y avait pas que le hockey au programme : nous avons voyagé à Ifran et à Meknes, ils ont vécu une journée et une nuit à 50 °C. Ils ont découvert le vrai Maroc pendant l’été. Finalement, nous avons joué un match de hockey et, en avril, ce sera la revanche en République tchèque. »

C’était un match perdu par les Tchèques, il faut le souligner…

Photo: Jan Czerný
Mimoun Mrini : « Je n’aime pas dire perdu, c’est un match où tout le monde a gagné. J’étais juge de ligne et j’avais des larmes aux yeux. Vous savez, je suis de la génération de Jaromír Jágr, des grandes personnalités qui ont joué dans la ligue nationale. D’ailleurs, j’ai mis la photo de Jaromír Jágr sur le bus qui nous a été gentiment offert par l’ambassade tchèque au Maroc. C’était mon rêve d’enfant qui s’est réalisé : j’ai vu une équipe tchèque jouer contre mes petits gars. »

Vous allez bientôt en République tchèque pour une revanche…

Mimoun Mrini : « Oui, entre le 10 et le 15 avril, nous serons à Náchod pour une revanche. Ce sera surtout une opportunité de se rencontrer, car depuis plusieurs mois, les jeunes n’arrêtent pas de s’écrire sur les réseaux sociaux. Il s’est passé une chose extraordinaire : nous avions au début un groupe qui parlait tchèque et un groupe qui parlait arabe. Quelques-uns d’entre eux parlait anglais. Finalement, lors d’un voyage, on dirait que c’était un seul groupe de jeunes. Leur rapprochement ne s’est arrêté ni à la barrière de la religion, ni à la barrière de langue ou d’âge. C’étaient des jeunes qui jouaient en forêt au foot, qui se disputaient, qui se chamaillaient, qui bizarrement écoutaient la même musique ! Ils parlaient le même langage, le langage de la jeunesse, sans préjugés et sans a priori. »

Enfin, nous rejoignons Aizeddine Amzil sur la patinoire du Mega Mall de Rabat. Le trésorier des Pirates de Salé a organisé le voyage des jeunes hockeyeurs tchèques au Maroc.

Photo: Jan Czerný
Aizeddine Amzil : « Le fait d’inviter des clubs au Maroc nous aide énormément, surtout en terme de montée en compétence de nos joueurs. Car le volet psychique et moral est aussi important chez eux que le volet technique et physique. Il est aussi important pour eux d’être confrontés à une autre façon de jouer, cela leur permet d’évoluer techniquement. »

Allez-vous accompagner les jeunes de votre club pendant leur voyage en République tchèque ?

Aizeddine Amzil : « Tout à fait. L’encadrement est très important, nos jeunes joueurs en ont besoin. Nous avons organisé le programme de A à Z, nous en avons l’habitude. Nous allons aussi ramener nos joueurs dans les familles pour leur faire découvrir la culture tchèque. Ils vont jouer avec des joueurs tchèques, car ils ont énormément de choses à apprendre. Ce sera une belle expérience que l’on doit réussir encore. »