La Tchécoslovaquie dans l’engrenage des rapports avec l’Union soviétique

Une alliance fatale, Prague et Moscou, 1920 - 1948, photo: Mladá fronta

Les rapports entre la Tchécoslovaquie et l’Union soviétique ont été décisifs pour l’histoire des peuples tchèque et slovaque au XXe siècle. L’évolution de ces relations essentielles est le sujet du livre publié récemment aux éditions Mladá fronta. Son auteur Jaroslav Šedivý, ancien ministre des Affaires étrangères et ambassadeur tchèque à Paris, a donné à son livre un titre bien explicite « Osudné spojenectví (Une alliance fatale, Prague et Moscou, 1920 - 1948). Voici la première partie de l’entretien sur cet ouvrage que Jaroslav Šedivý a accordé à Radio Prague :

Jaroslav Šedivý,  photo: Krokodyl,  CC BY 3.0 Unported
Votre livre couvre la période entre 1920 et 1948. Quels ont été les rapports entre la Tchécoslovaquie et l'Union soviétique dans l'entre-deux-guerres ?

« Vous savez, c’est un peu compliqué pour le dire brièvement. Les rapports entre ces deux pays étaient d’abord prudents. La Tchécoslovaquie cherchait la route vers les relations avec Moscou, d’abord économiques et commerciales, et dans la deuxième moitié de cette période même politiques en tenant compte de la sécurité au centre de l’Europe. Enfin, notre pays est tombé dans le piège de la politique impériale de l’Union soviétique. »

Le début des relations entre l'Union soviétique et la Tchécoslovaquie a été marqué par les activités des Légions tchécoslovaques. Pouvez-vous présenter sommairement les légions tchécoslovaques et le rôle qu'elles ont joué involontairement lors de l'assassinat de la famille impériale russe ?

Une alliance fatale,  Prague et Moscou,  1920 - 1948,  photo: Mladá fronta
« J’ai touché dans mon livre aussi quelques épisodes secondaires mais intéressants. C’est également ce court épisode lié avec nos légionnaires en Russie avant la fin et après la Première Guerre mondiale. Après la fin de la guerre, les Légions tchécoslovaques voulaient quitter la Russie mais la seule voie possible qui leur permettaient d’éviter une confrontation militaire avec les bolchéviques était par le chemin de fer transsibérien vers Vladivostok. Les Légions tchécoslovaques ont contrôlé pendant presque deux années le territoire autour de cette voie ferrée. Au mois de juillet 1918, les légionnaires tchécoslovaques se rapprochent de la ville de Iekaterinbourg, où les bolchéviques retiennent en prison la famille du dernier tsar Nicolas II. Ils craignent que les légionnaires ne libèrent la famille du tsar. Deux jours avant l’entrée des légionnaires dans la ville, les bolchéviques sur l’ordre de Moscou ont exécuté six membres de cette famille. Et les légionnaires ont découvert près de la ville les restes des corps brulés de la famille impériale. Ce n’est qu’en février 1920 que le représentant du gouvernement tchécoslovaque a pu signer un accord avec le pouvoir soviétique permettant aux Légions tchécoslovaques d’atteindre leur but – Vladivostok. »

Vous écrivez dans votre livre que les présidents Masaryk et Beneš étaient favorables aux activités commerciales tchécoslovaques en URSS sans vouloir toutefois soutenir le régime soviétique. Comment une telle politique se présentait-elle?

T. G. Masaryk et Edvard Beneš
« Vous savez, la situation en Russie vers la fin de l’année 1920 a changé. Les bolchéviques se sont emparés du pouvoir politique et militaire mais sur le plan économique le pays était dans une situation horrible. Lénine a donc ouvert la politique économique vers l’Occident. C’était une surprise pour les milieux industriels occidentaux qui voulaient très vite occuper une place sur le marché soviétique. Et le président tchécoslovaque Masaryk et son ministre des Affaires étrangères Beneš ont pris l’initiative d’inviter les cercles commerciaux tchécoslovaques à suivre cette nouvelle politique de Moscou, à suivre l’exemple des Hollandais, des Britanniques, et d’autres. C’était pourtant un peu compliqué pour Prague. Beneš ne voulait pas négocier un accord commercial avec les Soviétiques. Le mot ‘soviétique’ n’était pas acceptable pour lui. Il refusait de reconnaitre officiellement le nouveau régime à Moscou, mais les cercles industriels tchèques ont fait quand même quelques opérations en Russie qui n’étaient cependant pas couvertes par un accord commercial. Cet accord a été finalement négocié et signé en mars 1935, mais avant il fallait normaliser les relations diplomatiques entre Prague et Moscou. »

A quel moment et dans quelles circonstances historiques et politiques les relations entre la Tchécoslovaquie et l'Union soviétique se sont normalisées ? A quel moment le gouvernement tchécoslovaque a reconnu officiellement (de jure) l'Union soviétique ?

« La politique étrangère tchécoslovaque devait toujours tenir compte de deux problèmes. La sécurité de l’Etat et la possibilité de satisfaire ses intérêts économiques. Et déjà au début des années 1930, il était clair que ces deux problèmes touchaient aussi ses relations avec Moscou. L’Union soviétique a un peu corrigé sa politique étrangère et elle est entrée en 1934 à la Société des Nations. Pour le ministre Beneš, il devenait insoutenable de boycotter le système soviétique et le 9 juin 1934 ont été échangées entre Prague et Moscou les notes diplomatiques par lesquelles les relations entre ces deux Etats se sont normalisées. »

Pourquoi et dans quelles circonstances la France et la Tchécoslovaquie ont signé les traités d'assistance mutuelle avec l'Union soviétique ?

J. V. Staline
« Ma réponse à cette question sera un peu plus large parce que c’est un sujet qui n’est pas tellement simple. L`évolution de la situation dans les années 1930, surtout l’introduction de l’obligation militaire générale en Allemagne, était pour le gouvernement parisien un acte d’avertissement. Le gouvernement français est entré très vite dans les négociations avec Moscou sur le texte du Traité d’assistance mutuelle. Ce traité a été signé le 2 mai 1935 à Paris. Tout de suite après la signature, le ministre des Affaires étrangères Laval est parti pour Moscou où il a été reçu par Staline. Les négociations françaises avec les Russes ont été tout de suite suivies par la décision de Prague de signer un traité d’alliance tchécoslovaco-soviétique dans les principes semblables à ceux de l’alliance franco-soviétique mais avec une exception. A la demande du gouvernement tchécoslovaque, il a été ajouté un protocole avec une condition très importante. Il a été écrit dans ce protocole que si le traité devait être réalisé, appliqué, cela devait être lié avec l’application du Traité d’assistance mutuelle franco-soviétique. Ainsi ce document est devenu un traité entre trois participants. Le ministre Beneš ne cachait pas qu’il ne voulait pas se lier seulement avec Moscou. Le traité a été signé seulement deux semaines après la signature de celui entre la France et l’Union soviétique, le 16 mai 1935. Et comme Laval, le ministre Beneš est parti au mois de juin pour Moscou. C’était sa première visite là-bas et aussi sa première rencontre avec Staline. Et les négociations diplomatiques sur ce traité ont ouvert aussi les possibilités d’élargir non seulement les rapports économiques mais aussi militaires. »

(Nous vous présenterons la seconde partie de cet entretien la semaine prochaine.)