Karel Čapek, un écrivain qui voyait plus loin que la science de son temps

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Karel Čapek (1890-1938) a laissé une trace profonde dans pratiquement tous les genres de la littérature tchèque. Traduit dans une cinquantaine de langues, il est également un des écrivains tchèques les mieux connus et les plus publiés dans le monde. Ce fils de médecin a aussi été un grand visionnaire qui, avec une clairvoyance digne d’un prophète, a su prévoir l’évolution de l’humanité et dénoncer les dangers guettant la civilisation. Aujourd’hui, Karel Čapek est considéré comme un des fondateurs de la science-fiction.

Krakatit, une invention qui peut faire sauter le monde

Karel Čapek
Romancier célèbre et dramaturge prestigieux, Karel Čapek a été un grand amateur et rénovateur du tchèque qui, aussi grâce à sa plume, s’est transformé, dans la première moitié du XXe siècle, en une langue littéraire moderne. Karel Čapek a profondément marqué aussi le journalisme tchèque. Ses articles politiques publiés notamment dans le quotidien Lidové noviny restent aujourd’hui encore des modèles du genre. Traducteur brillant et averti, il a présenté aux lecteurs tchèques en 1920 une excellente anthologie de la poésie française.

Dès 1922 Karel Čapek avait prévu dans son roman Krakatit le danger que représente pour le monde l’abus de l’énergie nucléaire. L’ingénieur Prokop, héros de son livre, est un savant qui découvre une source d’énergie inouïe et se retrouve confronté à ceux qui cherchent à exploiter son invention à des fins militaires au risque de détruire le monde. L’astronome et vulgarisateur scientifique Jiří Grygar a lu le roman dès l’âge de onze ans. Aujourd’hui, il constate que Karel Čapek, en écrivant le livre, devait déjà connaître de nouvelles théories scientifiques, parmi lesquelles les transformations de Lorentz et la théorie de la relativité d’Einstein :

Photo: Aventinum
« Čapek connaissait la célèbre équation E = mc2 (e égale mc deux) et se rendait compte qu’une énorme quantité d’énergie est concentrée dans la matière. A vrai dire, même l’énergie nucléaire qui est utilisée couramment aujourd’hui, ne profite au maximum que de 0,7 % de cette énergie. Et encore cela n’est-il possible que lors de l’explosion d’une bombe à hydrogène, une simple bombe atomique n’en est pas capable. Nous pouvons donc imaginer ce qui pourrait arriver si nous savions libérer 100% de cette énergie, ce qui est théoriquement possible mais extrêmement difficile dans la pratique. Heureusement, les terroristes n’ont pas le moyen de le faire. »

Les anticipations catastrophiques de Karel Čapek se sont réalisées le 6 août 1945 à Hiroshima et trois jours plus tard à Nagasaki. L’humanité a découvert la terrifiante force de la bombe atomique et s’est retrouvée, durant de longues années, au bord d’un conflit nucléaire suicidaire.

La Guerre des salamandres

'La Guerre des salamandres',  photo: Odeon
Un autre grand thème relatif à l’avenir de notre civilisation est développé par Karel Čapek dans son célèbre roman La Guerre des salamandres. Avec un humour corrosif et révélateur, l’auteur raconte l’histoire des salamandres, une espèce d’amphibiens qui vit dans des pays exotiques et se révèle capable de pêcher des perles et d’aider les hommes à réaliser d’autres travaux. Cette main-d’œuvre pratiquement gratuite devient bientôt l’objet d’un commerce très prospère dans le monde entier, les salamandres se reproduisant rapidement. D’abord esclaves des hommes, elles évoluent, s’organisent, s’insurgent contre les hommes puis se mettent à détruire les continents car elles ont besoin de terrains marécageux pour vivre.

En imaginant cette nouvelle espèce de salamandres qui envahit le monde, Karel Čapek cherchait à attirer l’attention sur le danger de la montée du nazisme en Europe. Ancienne présidente de l’Académie tchèque des sciences, Helena Illnerová trouve dans le livre encore un autre message :

Helena Illnerová,  photo: Archives de Radio Prague
« ‘La Guerre des salamandres’ est un livre tout à fait visionnaire dans le sens où il démontre notamment comment les gens peuvent se comporter et comment ils se comportent déjà puisqu’ils sont même capables de détruire la belle planète sur laquelle ils vivent. C’est une mise en garde contre leur âpreté au gain qui, les pousse à céder toujours plus de terrain aux salamandres qui leur font gagner de l’argent. Les gens sont incapables d’arrêter cette tendance à vouloir augmenter encore et encore la production industrielle, le PIB, etc. On veut gagner toujours plus, mais je crois qu’il faudra que cela s’arrête un jour. Nous parlons toujours du concept de développement durable ou soutenable, mais je crois que précisément cette évolution cesse d’être soutenable. Rendre soutenable notre planète est ce que nous devrions faire, et je crois que Čapek serait d’accord avec cela. »

La Maladie blanche

'La Maladie blanche',  photo: Fr. Borový - Praha
Karel Čapek a traité dans ces livres encore d’autres thèmes d’anticipation comme le prolongement de la vie et les aspirations à l’immortalité. Dans la pièce L’Affaire Makropoulos, il raconte l’histoire d’Elina Makropoulos, une femme énigmatique qui possède le secret de l’immortalité mais finit par se lasser de la vie. Jiří Grygar rappelle également La Maladie blanche, une autre pièce de Karel Čapek dans laquelle l’auteur évoque une terrible pandémie qui s’abat sur une humanité qui est divisée par des antagonismes insurmontables et se prépare à la guerre :

« Il a prévu des épidémies modernes comme le virus de l’immunodéficience humaine VIH qui peut infecter n’importe qui. Pendant longtemps il n’a existé aucun médicament contre cette maladie. Les épidémiologistes me disent que les épidémies ravageuses peuvent de nouveau éclater parce que les antibiotiques sont moins efficaces. Cela fait même froid dans le dos quand on se rend compte jusqu’à quel point Čapek était génial dans des domaines très divers des sciences naturelles, la physique, la biologie, etc. Il est surprenant de voir comment il visait juste à une époque où faire de telles prévisions était pourtant très difficile. »

La révolte des robots

Jiří Grygar,  photo: Katarína Brezovská,  ČRo
Pratiquement tous les thèmes que nous venons d’évoquer et qui, au temps de Karel Čapek, étaient encore considérés comme utopiques, ont déjà trouvé leur reflet ou se sont réalisés dans la vie réelle. Toutefois, dans l’œuvre de l’auteur figurent aussi d’autres visions utopiques dont la réalisation n’en est encore qu’à ses débuts. En 1920, Karel Čapek achève la pièce R.U.R. (Rossum’s Universal Robots) que Jiří Grygar considère comme plus actuelle que jamais :

« La première grande vision de Karel Čapek est dans la pièce R.U.R. C’est à cette pièce qu’il doit sa célébrité et c’est pour elle qu’il a inventé le mot ‘robot’. Plus précisément, le mot a été inventé par son frère Josef, mais Karel a été le premier à l’utiliser. Et ce mot devient très actuel si l’on se tient à ce qui se passe déjà et se passera plus encore dans le proche avenir. Les robots se sont mis en marche dans le monde et il se produira bientôt ce qui est inévitable : les robots seront plus intelligents que nous. »

'R.U.R.'
Le mot « robot » s’est très vite imposé dans le monde entier. Il désigne désormais tous les mécanismes servant à accomplir automatiquement des tâches imitant ou reproduisant des actions humaines. Dans la pièce de Karel Čapek, les robots humanoïdes parviennent à corrompre les hommes, leur déclarent la guerre et détruisent l’humanité dans son ensemble. Actuellement, certains mécanismes robotiques atteignent une étonnante perfection et sont capables de remplacer l’homme dans beaucoup de ses activités. Et le processus de robotisation de la société continuant de s’accélérer, nous sommes contraints de nous pencher sur ses conséquences et même sur une éventuelle responsabilité juridique de l’intelligence artificielle. Jiří Grygar rappelle que des logiciels, c’est-à-dire des robots intelligents, ont déjà battu des maîtres du poker. Cela signifie qu’ils savent bluffer et possèdent une faculté que nous pensions pourtant réservée à l’homme. L’intelligence artificielle pourrait donc changer profondément et rapidement toute notre société.

Selon Jiří Grygar, l’époque de Jules Verne, le visionnaire dont les idées utopiques ont été plus tard réalisées par la science, est révolue et les scientifiques s’inspirent aujourd’hui beaucoup moins de la littérature que les écrivains des sciences. Désormais, ce sont les auteurs de science-fiction qui cherchent leur inspiration dans les découvertes des sciences naturelles. Considéré sous cet angle, Karel Čapek apparaît donc comme un des derniers écrivains à avoir vu plus loin que la science de son temps.