Les Tchèques, un peuple d’Europe centrale

Photo: La Découverte

Avec leur ouvrage Atlas des peuples d’Europe centrale, qui a bénéficié de plusieurs rééditions depuis sa première parution en 1991, les historiens et géographes André et Jean Sellier offrent une grille de lecture qui permet d’y voir un peu plus clair sur la mosaïque de peuples qui composent cet espace du Vieux Continent et sur les problématiques qui les traversent. Parmi la vingtaine de peuples portraiturés dans ce livre publié aux éditions La Découverte figurent évidemment les Tchèques. Jean Sellier est revenu sur cette entrée, celle qui nous intéresse plus particulièrement, dans un entretien pour Radio Prague.

Photo: La Découverte
« Nous avons pris le parti de commencer au début du XXe siècle. Les peuples d’Europe centrale, tous, sont alors soumis à l’un des empires voisins. Autrement dit, la vingtaine de peuples qui habitent l’Europe centrale sont soumis, du côté ouest, à l’impérialisme germanique, qui a deux visages, prussien et autrichien, au sud à l’impérialisme ottoman et à l’est à l’impérialisme russe. Ensuite, à partir de 1815, c’est l’éveil des nationalités et ces vingt peuples, le récit va le montrer, petit-à-petit obtiennent leur autonomie, leur indépendance. Ils sont aujourd’hui tous indépendants. »

Parmi ces vingt peuples, il y a les Tchèques. Qu’est-ce qui rattachent spécifiquement les Tchèques à l’espace de l’Europe centrale ?

« Ce que je viens de dire, c’est-à-dire qu’en 1815, ils n’étaient pas indépendants. Ils se trouvaient sous la domination Habsbourg depuis le début du XVIe siècle. Le royaume de Bohême avait eu son heure de gloire auparavant, notamment du temps de l’empereur Charles IV. Parce que le royaume de Bohême faisait partie du Saint-Empire depuis le début. Ce qui caractérise les Tchèques à mon avis, c’est qu’ils ont toujours été tournés vers l’Ouest et en quelques sortes inclus dans le monde germanique. »

D’ailleurs un monde germanique, avec une Allemagne qui a pu se définir vis-à-vis du concept de Mitteleuropa, que vous n’avez pas inclus dans cet espace d’Europe centrale…

« Non car au fond l’idée de cet atlas est de prendre comme sujet du récit tous ces peuples qui ont dû conquérir leur indépendance à l’époque moderne. Alors que dans les récits habituels, les historiens parlent essentiellement des conflits entre puissances et les peuples d’Europe centrale sont des objets. Nous, nous avons voulu en faire des sujets. »

Quelles sont les problématiques auxquelles vous avez été confrontés avec votre père André Sellier pour concevoir l’entrée "Les Tchèques et les Slovaques" ? D'où viennent ces peuples ?

Jean Sellier,  photo: archives de La Découverte
« Ces peuples sont tout de même très proches. Ils parlent des langues slaves de l’ouest, comme d’ailleurs les Polonais. Quand on regarde dans le passé du point de vue linguistique ou du point de vue ethnique, il n’y a pas de différences notables. C’est leur histoire qui les a séparés puisque le royaume de Bohême, étant dans le Saint-Empire, a vécu d’un côté, tandis que les Slovaques ont très tôt, il y a mille ans environ, été soumis par les Hongrois. La Slovaquie n’existait pas. Avant qu’on lui donne ce nom à l’époque moderne, cela s’appelait la Haute Hongrie. Donc ces deux histoires sont distinctes. En même temps, en 1918, ces deux histoires convergent. Donc entre 1918 et 1993, on est bien obligé de les traiter ensemble. Et ensuite elles divergent à nouveau. »

Qu'implique pour les peuples de la région le fait d’avoir fait partie d’Etats plurinationaux, que ce soit sous la domination des Habsbourg ou à l’échelle de la Tchécoslovaquie dans l’entre-deux-guerres ?

« Au temps de l’Autriche-Hongrie, l’empire était plurinational mais les différents peuples étaient traités de différentes façons. Au sein de la partie autrichienne, dont faisaient partie les Tchèques, on ne peut pas dire qu’ils subissaient une oppression. Ils étaient souvent bilingues et assez bien intégrés. En revanche, les Slovaques, au sein du royaume de Hongrie, ont dû subir une politique de magyarisation. Ensuite, quand la Tchécoslovaquie s’est mise en place, c’était un nouvel Etat plurinational. On a dit que c’était une Autriche-Hongrie en miniature. Mais ce qui caractérise la Tchécoslovaquie dans l’entre-deux-guerres, c’est le fait que c’était une démocratie parlementaire et qui respectait les droits des minorités linguistiques, dont des Allemands, des Polonais, des Hongrois, des Ukrainiens, ce qui n’était pas le cas dans d’autres pays d’Europe centrale à la même époque. La situation s’est gâtée quand les nazis ont pris l’ascendant chez les Allemands des Sudètes au milieu des années 1930, mais auparavant cela se passait très bien. »

Il y a une autre particularité à cet espace d’Europe centrale, c’est qu’il a été soumis à la domination soviétique après la Seconde Guerre mondiale…

« Si on repart encore de 1815 avec les impérialismes, même si on ne parle plus des Ottomans, on se retrouve lors de chacune des deux guerres mondiales avec un affrontement entre l’impérialisme germanique et l’impérialisme russe. L’URSS est un avatar de l’impérialisme russe qui, en 1945, est complètement victorieux en Europe centrale. »

Qu’est-ce que signifie aujourd’hui l’appartenance nouvelle de ces pays d’Europe centrale et en particulier de la République tchèque à des organisations comme l'OTAN et à l’Union européenne ?

Photo: Kristýna Maková
« Il est bien évident que l’appartenance à l’Union européenne et surtout l’appartenance à l’OTAN, c’est une garantie contre le retour de l’impérialisme russe notamment, en se mettant sous le parapluie américain. Sinon, les Tchèques et les Slovaques, une fois qu’ils sont entrés dans l’Union européenne, ils se retrouvent comme tous les membres de l’Union européenne partagés entre des aspirations nationalistes, d’autant plus vives qu’elles n’ont pas été satisfaites très tôt dans l’histoire, et le souci de coopérer avec les voisins aussi bien que possible. Mais cette question se pose à eux exactement dans les mêmes termes qu’elle se pose aux Etats membres fondateurs de l’Union européenne aujourd’hui. Je ne vois pas en quoi leur situation est différente de la nôtre de ce point de vue. »