Tomáš Halík : « Ne permettons pas à la peur de tenir le gouvernail de nos vies »

Tomáš Halík, photo: che, CC BY-SA 2.5

Il ne ressemble pas à un prêtre. Il ne parle pas comme un prêtre. Il ne s’habille pas comme un prêtre, mais… c’est un prêtre! C’est par ces propos que l’animateur de la Télévision tchèque Marek Eben a introduit, il y a quelques années, dans son talk-show, le prêtre, théologien et sociologue Tomáš Halík. Une des personnalités les plus engagées et les plus en vue de l’Eglise catholique tchèque, médiateur du dialogue entre les différentes confessions et les non-croyants, Tomáš Halík fête ce vendredi ses 70 ans. Portrait.

Tomáš Halík,  photo: che,  CC BY-SA 2.5
La remise à Tomáš Halík, en mai 2014 à Londres, du très prestigieux prix Templeton, comparé souvent au prix Nobel dans le domaine religieux, a donné le coup d’envoi du tournage d’un documentaire sur sa vie diffusé cette semaine par la Télévision tchèque. Profondément attaché à l’univers anglo-américain, le prêtre s’est souvenu, dans ce film, d’un moment crucial de sa vie : après avoir étudié, à l’automne 1968, la sociologie et la philosophie à l’Université de Bangor au pays de Galles, le jeune intellectuel pragois qu’il était a choisi de revenir en Tchécoslovaquie, alors occupée par l’armée soviétique.

« J’avais envoyé une lettre à ma professeure à l’Université Charles, où je lui écrivais combien j’étais heureux en Grande-Bretagne où je comptais rester. Je lui ai aussi suggéré de réaliser certains projets à Prague. Elle m’a répondu qu’effectivement, on pouvait mettre en place plein de projets même sous l’occupation soviétique, mais qu’il n’y avait personne pour le faire. ‘Tous les gens doués qu’on avait à l’université ont émigré’ a-t-elle écrit. Et vous, Tomáš, n’envisagez-vous pas de revenir ? »

Tomáš Halík contribue alors à établir un réseau secret d'universitaires, théologiens, philosophes et étudiants, un réseau proche du milieu dissident et qui se consacre à préserver la vie intellectuelle et spirituelle dans un pays oppressé par le régime totalitaire. Un engagement qui lui a valu d’ailleurs l’attribution du prix créé par le philanthrope John Templeton.

Ordonné prêtre dans la clandestinité, Tomáš Halík a eu, sous le communisme, un parcours de sociologue et de psychothérapeute, métier qu’il a exercé au sein d’une communauté thérapeutique venant en aide aux personnes alcooliques.

Tomáš Halík,  photo: Nikol Kraft,  CC BY-SA 3.0
Riche de toutes ces expériences, sensible au dialogue entre les différentes Eglises et soucieux du rapprochement entre fidèles pratiquants, croyants timides et athées, Tomáš Halík incarne pour de nombreux Tchèques l’Eglise catholique telle qu’ils voudraient la voir : une Eglise accueillante et sans préjugés qui ne comprend pas uniquement la foi chrétienne comme un ensemble de règles morales à respecter, mais plutôt comme un terrain d’inspiration à explorer pendant toute sa vie, comme une aventure passionnante à vivre et à partager. Une aventure que Halík a d’ailleurs décrite dans ses multiples livres traduits dans une vingtaine de langues.

Depuis 1990, le prêtre tchèque est à la tête de la paroisse étudiante catholique Saint-Sauveur de Prague.. L’ancienne ministre et eurodéputée Zuzana Roithová fait partie de ceux qui fréquentent ce lieu dynamique et ouvert à tous. On l’écoute :

« Le succès du travail pastoral de Tomáš Halík est dû au fait qu’il est calme, qu’il ne donne ni d’ordres ni de recommandations, qu’il ne dénigre personne. Sans conseiller ou proposer quoi que ce soit, il écoute et communique avec les autres de manière non-verbale, grâce à son propre charisme. C’est quelqu’un de très sensible qui sait entrer dans la peau de celui qui est en face de lui, qui sait comprendre ses états d’âme. »

Même après la chute du régime communiste, Tomáš Halík a poursuivi sa lutte en faveur des libertés, de la tolérance et du dialogue. Commentateur inlassable et analyste aigu de la vie politique et publique, le prêtre est tout aussi critiqué dans les médias qu’insulté par des anonymes, pour ses prises de positions sur le Château de Prague, les milieux catholiques conservateurs ou encore les partisans de la politique anti-migratoire et islamophobe.

Tomáš Halík,  photo: Jiří Hošek,  ČRo
« Dans mon film, j’ai voulu montrer Tomáš Halík comme un homme qui trouve une certitude dans l’incertitude, qui ne trouve son équilibre qu’en étant constamment et intentionnellement confronté à cette incertitude, à la peur et aux obstacles », a déclaré Veronika Korčáková, réalisatrice du documentaire intitulé « Dialogy se světem » (Dialogues avec le monde). Ainsi, le prêtre, théologien et philosophe qui a parcouru le monde évoque dans ce film notamment son séjour en Antarctique où il a participé à la construction de la station polaire tchèque. Il s’est souvenu en particulier d’un moment dramatique vécu sur une mer déchaînée :

« On était vraiment confrontés au danger de la mort. A un moment donné, j’étais tellement épuisé de ramer pendant des heures que j’ai presque souhaité de mourir au fond de l’océan. Au moment où j’ai compris que notre survie ne dépendait plus de nous, je n’ai plus forcé. Du coup, j’ai senti que mes forces se renouvelaient. C’était une grande expérience existentielle : lorsque l’on est épuisé, il convient de se libérer de notre volonté. Nous pouvons alors accueillir une force nouvelle. Plusieurs fois dans ma vie, j’ai fait cette même expérience. »

Tomáš Halík célébrera son 70e anniversaire ce dimanche soir, au sein de sa paroisse universitaire, par une messe solennelle à l’Eglise Saint-Sauveur. La fête se poursuivra à proximité de l’église, dans la cour du Klementinum, au cœur de la Vieille-Ville de Prague.