« La danse est belle à tous les âges »

Tanec Praha 2018

Jusqu’au 25 juin, le festival de danse contemporaine Tanec Praha se déroule à Prague et dans de nombreuses villes de République tchèque. Radio Prague a rencontré Markéta Perroud, sa directrice-adjointe, elle-même ancienne danseuse. Elle nous a parlé du 30e anniversaire de ce rendez-vous désormais incontournable de la danse contemporaine, de la programmation, mais aussi des défis à relever à l’avenir.

Markéta Perroud,  photo: Tanec Praha
Markéta Perroud, bonjour. Vous êtes directrice adjointe du festival de danse Tanec Praha. Le festival fête cette année ses 30 ans d’existence. 30 ans c’est une belle longévité pour un festival. Même si vous n’avez pas fait partie de l’équipe du festival depuis les débuts de ce rendez-vous de la danse contemporaine à Prague et en province, j’imagine que vous pouvez tout de même nous dire ce que cet anniversaire représente pour vous, pour l’équipe…

« Trente ans c’est énorme. Ça a commencé comme un petit festival avec les juniors du Nederlands Dans Theater de Jiří Kylián qui sont venus. Quand je vois le festival qui se produit maintenant, à Prague et dans vingt autres villes de République tchèque, il y a une évolution énorme. Le festival a joué un rôle très important dans l’évolution de la danse contemporaine locale. Au début, le festival était presque tout seul, même s’il y avait quelques autres acteurs mais qui n’ont pas réussi à développer davantage leurs activités. Dès le début, le festival a eu pour objectif de ramener de la danse étrangère de très haut niveau mais aussi d’inspirer les artistes locaux. Ensuite, l’équipe du festival a fait des voyages à l’étranger, pour promouvoir la danse, chercher des possibilités afin que des artistes tchèques puissent trouver une place au niveau international. Il y a vraiment une grande différence entre les débuts et aujourd’hui, quand on regarde comment la scène a évolué. Je pense que le festival a joué un grand rôle à cet égard. Il faut aussi dire que la personne qui a été le moteur de toute cette longévité, c’est ma collègue Yvona Kreuzmannová, ma collègue qui est la directrice du festival. Elle est rentrée dans l’équipe lors de la deuxième édition. Dès l’année suivante elle est devenue directrice et elle a tiré ce chariot pendant ces trente ans. Evidemment, elle l’a fait avec l’aide de toute l’équipe, mais elle, avec son énergie et ses connaissances a joué le plus grand rôle. »

Le coup d’envoi du festival a été donné le 1er juin avec une chorégraphie de Jiří Kylián, créée en 2013. Sur votre site vous présentez Jiří Kylián d’une façon tout à fait pertinente pour le public non-averti. Vous écrivez que dans le monde, Jiří Kylián est à la danse ce que Miloš Forman est au cinéma. C’est dire toute l’importance de ce spectacle cette année, à Tanec Praha. Pouvez-vous nous présenter davantage Jiří Kylián et ce spectacle ?

Jiří Kylián,  photo: Adam Kebrt,  ČRo
« Je dois mentionner une nouvelle tout fraîche : Jiří Kylián est désormais Immortel. Il vient en effet d’être nommé associé étranger à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France. Avec sa nomination a d’ailleurs été créée une section chorégraphie. C’est quelque chose d’incroyable. Bien sûr, la personnalité de Jiri Kylian a une valeur énorme. Il a des qualités exceptionnelles. C’est donc un honneur pour nous de le présenter ainsi que son spectacle, pour cette 30e édition. Le public tchèque est plutôt habitué à voir ses œuvres plus anciennes. Nous ce qu’on apporte, c’est une pièce récente, qui date de 2013 et qui a été inspirée par Samuel Beckett tout en rendant hommage aux victimes du tsunami au Japon en 2011. C’est une pièce pour trois performeurs : la première c’est Sabine Kupferberg, sa muse et la femme de sa vie, le deuxième c’est Gary Chryst, un danseur de la compagnie de Jiri, et il y a enfin la musicienne japonaise, Tomoko, qui travaille et vit aux Pays-Bas. Le film joue une partie importante dans le spectacle. Il y a de la danse, du mouvement, il y a du cinéma et de la musique : c’est très sombre, mais je le considère comme un bijou. »

Vous disiez que la première édition avait déjà présenté une chorégraphie Jiří Kylián …

« Oui, on dit que c’est le retour de Jiří Kylián ! Bien entendu, depuis on a pu voir des œuvres de ce grand chorégraphe à Prague, ou à Brno, au cours de ces trente ans, mais au festival, c’est un retour après trente ans. »

C’est une belle façon de fêter cet anniversaire. Le spectacle East Shadow sera encore donné ces 2 et 3 juin à Prague. Vous accueillez également pour cette édition la Française Karine Ponties. Ce n’est de loin pas la première fois qu’elle vient dans le cadre du festival… Que présente-t-elle cette année ?

Karine Ponties,  'Same Same',  photo: Ján Skaličan / Tanec Praha
« C’est une des personnalités qui me permet de mentionner le slogan de cette année. ‘La danse contre les préjugés’ était celui de l’année dernière. Cette année, on a rajouté : ‘L’âge n’a jamais été aussi peu important’. Je pense qu’il est important de voir sur scène des personnes de tous âges. La danse n’est pas réservée uniquement aux corps jeunes, beaux, maigres, de personnes entre 16 et 40 ans. La danse est belle à tous les âges de l’Homme. C’est lié notamment au spectacle East Shadow car les performeurs y ont bien plus que 50 ans. Dans le cas présent, Karine Ponties n’est pas présente sur scène. Il y a quelques années, elle avait présenté un spectacle dans le cadre de notre festival. Deux artistes tchèques Tereza Ondrová, chorégraphe et danseuse, et Petra Tejnorová, une metteuse en scène de théâtre qui s’investit de plus en plus dans le monde de la danse, étaient très attirées par le monde de Karine. Elles l’ont approchée pour lui demander de collaborer ensemble. Nous étions très heureux de coproduire la nouvelle pièce. Karine Ponties revient en effet souvent ici pour le festival. C’est une des artistes étrangères qui a noué des liens très forts avec des artistes tchèques. On préfère soutenir ce genre de collaboration sur la longue durée, qui rapporte des fruits magnifiques… et mûrs ! »

Evidemment, on ne peut pas évoquer tous les spectacles en détails, mais j’aimerais souligner la place que vous accordez à deux artistes africains cette année : Germaine Acogny du Sénagal et Ladji Kone du Burkina Fasso.

Germaine Acogny,  'Somewhere at the Beginning',  photo: Tanec Praha
« Germaine Acogny est la grande dame de la danse africaine. Elle était déjà présente au festival l’année dernière. Cette année, elle ramène son spectacle où elle part de son rôle de femme en Afrique. C’est un spectacle très riche, très théâtral, avec une partie autobiographique. »

Et Ladji Kone, du Burkina Fasso, qui est-il ?

« C’est ma collègue Yvona Kreuzmannová qui a découvert Ladji Kone pendant un de ses nombreux voyages en Afrique. C’est un jeune artiste, qui oscille entre son pays d’origine et la France. Il vient présenter à Prague et en régions deux solos, toujours accompagné de musiciens. »

J’imagine qu’après trente ans de parcours, on a tendance à se poser, à faire le bilan. Quels sont les défis à relever pour la décennie à venir ?

Tanec Praha 2018
« De continuer, je pense. Je trouve que la société aujourd’hui a souvent besoin de choses nouvelles. Les projets de longue durée ont plus de mal à aller plus loin, ils ont besoin de déployer plus d’énergie pour défendre leur position. Je pense que continuer est déjà un défi. J’aimerais aussi que le festival continue de jouer un rôle important dans le développement de la danse contemporaine ici, dans la défense des conditions de travail des gens qui s’en occupent. J’aimerais aussi que le festival puisse toujours faire le lien entre la danse internationale et la danse locale. Enfin, j’espère que le festival ira toujours contre les préjugés. »

www.tanecpraha.org